Crise en Turquie : un séisme politique aux répercussions mondiales
- thibo périat
- 26 mars
- 3 min de lecture
Que se passerait-il si la Turquie plongeait dans une crise politique majeure ? Ce pays, carrefour entre l’Europe et le Moyen-Orient, n’est pas un simple acteur régional. Une déstabilisation interne pourrait provoquer un effet domino bien au-delà de ses frontières. Géopolitique, économie, migrations, alliances militaires : Ankara est au cœur de nombreux équilibres mondiaux.
Un Moyen-Orient sous tension
La Turquie, pilier stratégique en Syrie, en Libye et au Caucase, joue un rôle de stabilisateur ou d’agitateur , dans des conflits clés. Si le pouvoir vacille, qui reprendra la main ?
• En Syrie, une Turquie affaiblie fragiliserait le groupe HTC de Ahmed al-Charaa au pouvoir. Moscou et Téhéran pourraient remettre la pression sur Damas.
• En Libye, sans l’appui militaire turc, le gouvernement de Tripoli, allié d’Ankara, se retrouverait isolé face aux forces du maréchal Haftar, soutenues par la Russie et les Émirats arabes unis.
• En Méditerranée orientale, un pouvoir turc affaibli réduirait les tensions immédiates avec la Grèce et Chypre, mais ouvrirait la porte à de nouvelles stratégies européennes et américaines sur la question du gaz offshore.
L’OTAN et l’Europe face à un dilemme
Membre clé de l’OTAN, la Turquie est un allié devenu imprévisible. Entre ses achats de matériel militaire russe (S-400) et ses relations tendues avec les États-Unis, une crise interne pourrait affaiblir le flanc sud de l’Alliance.
Pour l’Union européenne, le casse-tête est tout aussi grand. La Turquie est son gardien migratoire depuis l’accord de 2016, qui a permis de limiter les arrivées de réfugiés syriens. Un État turc en crise pourrait ouvrir les vannes migratoires, ravivant les tensions politiques au sein de l’UE et mettant la pression sur des pays comme la Grèce et l’Italie.
Tempête sur les marchés
L’économie turque vacille déjà sous l’effet de l’inflation et d’une livre en chute libre. Un effondrement politique plongerait le pays dans une récession brutale, avec des répercussions mondiales :
• Chute des investissements étrangers (notamment européens et chinois).
• Déstabilisation des marchés émergents, déjà fragilisés par des tensions globales.
• Blocage du commerce international, la Turquie étant un carrefour entre l’Asie et l’Europe.
Le rôle clé d’Ekrem İmamoğlu
Dans ce contexte, un homme cristallise les espoirs de l’opposition : Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul. En 2019, il a infligé une défaite historique au parti d’Erdoğan (AKP) en remportant la mairie de la plus grande ville du pays, bastion du pouvoir islamo-conservateur depuis plus de 20 ans.
Qui le soutient ?
• Le CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche) : Parti fondateur de la Turquie laïque, il est son principal soutien.
• Les kémalistes et les classes urbaines : İmamoğlu incarne une alternative moderne et démocratique au pouvoir actuel.
• Une partie des milieux économiques : La crise économique pousse certains acteurs à rechercher un leadership plus stable et tourné vers l’Europe.
• Une jeunesse désillusionnée : Il séduit une partie des jeunes électeurs lassés du conservatisme de l’AKP.
• Les nationalistes modérés : Certains segments du parti İYİ (nationalistes centristes) se rallient à lui pour contrer Erdoğan.
Mais İmamoğlu est sous pression. Accusé de diverses infractions administratives, il risque une interdiction de la vie politique, une tactique déjà utilisée contre d’autres opposants à Erdoğan.
À qui profiterait une crise turque ?
Si une Turquie affaiblie inquiète l’Occident, d’autres acteurs pourraient y voir une opportunité :
• La Russie : Poutine a tout à gagner d’un affaiblissement d’Ankara. La Turquie, souvent en opposition à Moscou en Syrie, en Libye et au Caucase, deviendrait moins influente. Moscou pourrait aussi renforcer son rôle dans la fourniture énergétique à l’Europe en profitant de l’affaiblissement du corridor gazier turc.
• L’Iran : Un partenaire turc en crise pourrait permettre à Téhéran de s’imposer davantage au Moyen-Orient, notamment en Syrie et en Irak, où l’influence turque s’oppose souvent à celle de l’Iran.
• Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite : Ces deux puissances du Golfe, en conflit d’influence avec la Turquie sur plusieurs fronts (notamment en Libye et dans le monde sunnite), pourraient exploiter la situation pour affaiblir davantage le projet néo-ottoman d’Ankara.
• La Grèce et Chypre : Moins de pression turque en Méditerranée pourrait leur permettre de renforcer leurs revendications territoriales et énergétiques.
• Les Kurdes : Une instabilité en Turquie pourrait affaiblir la lutte d’Ankara contre les mouvements kurdes, leur donnant plus d’espace pour renforcer leur influence en Syrie et en Irak.
Un monde sous pression
En somme, une crise politique en Turquie ne serait pas une affaire locale. Elle pourrait secouer l’ordre mondial, de Bruxelles à Washington en passant par Moscou et Téhéran. Si l’Occident craint un effondrement qui pourrait déstabiliser l’OTAN et l’Europe, d’autres puissances pourraient en tirer profit, redéfinissant ainsi les équilibres géopolitiques du XXIe siècle. Dans ce contexte, la bataille politique autour d’Ekrem İmamoğlu prend une dimension capitale : l’avenir de la Turquie pourrait bien se jouer entre la montée en puissance de son opposition et la réaction du régime d’Erdoğan.




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